C'est le cahier d'apprentissage de mon père qu'il a commencé alors qu'il avait à peine 16 ans.
Tous les apprentis coupeurs font cela et je l'ai fais aussi, mais je ne retrouve pas le mien ....
C'est un cahier ou l'on prend des notes afin de mieux mémoriser, mais surtout ne pas faire répéter celui qui nous enseigne.
Il faut dire que les patronniers n'étaient pas des tendres.
Il fallait leur "arracher " les informations, aussi était-il plus sage de noter au fur et à mesure.
C'est pour cela qu'il n'y a pas de chronologie dans les chapitres parce qu'il fallait saisir l'info quel que soit le moment.
Je vous propose donc de feuilleter ensemble ces quelques feuilles jaunies, mais toujours d'actualité.
La composition des morceaux de la chemise et la façon de prendre les hauteurs de tissus
On remarquera qu'il y a un tracé en pointillé sur la manche.
C'est une pointe qui était rajoutée sous le bras, pas très raffiné, mais obligatoire.
La raison est toute simple.
Les tissus de cette époque faisaient 80 cm de large, aussi, si l'on coupait des manches d'un seul morceau, il ne restait pas assez de largeur pour trouver les autres morceaux.
Par soucis d'économie, on faisait une pointe rapportée sous le bras.
La manche,étant plus étroite au bas qu'à la tête, on trouvait cette pointe tête bêche.
J'ai appris à couper comme cela.
Il n'y avait pas de patron complet de manche.
Quelquefois une tête de manche et une longueur indiquée, mais bien souvent un gabarit standard qui indiquait le pliage (la largeur de la manche) la longueur et la largeur au bas.
Par exemple il était écrit sur le patron de devant au niveau de l'emmanchure:
28 / 57 / 16
Il fallait comprendre:
28 => Largeur de la tête de manche (double)
57 => Longueur de la manche
16 => Largeur du bas de manche
Pas très précis tout ça ....
C'est encore d'usage aujourd'hui.
On coupe les triplures légèrement plus courtes que le tissu de façon à anticiper le rétrécissement sachant que chacun "joue" de façon différentes.
Avec le thermocollant pas de problèmes ......
Descriptif de la manche
C'est se qu'on appelle un plan de coupe ou comment placer les différents morceaux.
Pour l’anecdote, quand j'ai débuté comme coupeur détacheur chez Lanvin, parfois on faisait des plans de coupe pour les grosses commandes.
On nous octroyait 3 mètres par chemise, mais, si grâce à un placement judicieux on pouvait sortir les chemises en 2.70 m on économisait 30 cm de tissu.
Si le client avait 10 chemises dans le même tissu ..... 30cm x 10 = 3 m = 1 chemise.
On appelle cela en jargon de métier de la "gratte de coupeur"
Ce qui permettait de se faire une chemise "à l’œil"
Ce n'était pas du vol car tout le monde connaissait le procédé.....
Après on négociait avec les ouvrières pour le montage, mais il n'y avait pas de problèmes car chacun se rendait service mutuellement.
Je bricole un patron ou je coupe des chemises et en échange on me fait le montage.
La solidarité des ateliers en quelque sorte.
Les manches d'enfant, mais toujours la pointe ...
Article aujourd'hui disparu
La chemise de nuit ...... pour homme!
A mes début, il y a plus de 35 ans, j'en ai coupé quelques unes...
Mais toujours la pointe sous le bras
Toujours dans le même soucis d'économie de tissus, l'alaise sous le bras, morceau de tissu rapporté et monté sur les cotés entre le devant et le dos.
Je rappelle que les tissus étaient en 80 cm de large, aussi, les clients un peu corpulents ne passaient pas dans une seule hauteur de tissu.
Plutôt que de prendre 2 hauteurs pour les devants ( ce qui se faisait dans les grandes maisons ), nous, "les petits" on rapportait une bande de tissu pour avoir la largeur totale.
Et on gagnait ainsi sur le métrage total.
Toujours dans la même optique de l'économie, le croisage, c'est à dire la largeur de la gorge devant était systématiquement de 3 cm.
Quand on replie le tissu pour un croisage de 3 on utilise 9 cm
Pour un croisage de 3.5 on utilise 10.5 cm
Et pour 4 on utilise 12 cm
Plus le croisage est petit et plus il laisse de place en largeur pour le devant
Il n'y a pas de petites économies ......
Et oui!
On a rien inventé!
Je pense que les génies du stylisme vont avoir là matière à puiser des idées...
Et le plan de coupe
Les "slips" et autre boxer n'existaient pas.
Il en va de même pour tous les sous vêtements homme.
Bien souvent, les caleçons étaient faits en blanc.(popeline pour l'hiver et percale pour l'été)
Cependant, avec l'apparition des couleurs et des motifs, quelquefois les clients demandaient chemises et caleçons dans le même tissu.
On appelait cela une parure (enfin, moi, j'appelais ça comme ça)
Petite précision:
Les chemises dans leur grande majorité étaient brodées.(initiales)
Alors on faisait la même broderie sur la ceinture du caleçon, blanc ou pas.
Pour l'anecdote ....
J'ai vu des broderies sur certaines braguettes de caleçons .....
Disons assez ..... suggestives ....
Sur d'éminentes personnes dont on ne soupçonnerai même pas la "coquinerie"
Le secret professionnel, la discrétion et le respect m'interdit d'en parler...
Et surtout pas de citer des noms ....
Quelquefois en regardant la télé, j'ai un petit sourire ............ nostalgique ....
A chacun de comprendre que je ne puisse pas avoir le même regard sur nos hommes publics ...
Ba-Ba du métier...
Quand je pense que certains "chemisiers" que je ne nommerais pas ne savent pas faire ça ....
Passons ....
Comme je l'ai précisé pour les caleçons, les sous vêtements homme tels que "Marcel" T shirt etc...
N'existaient pas ....
On appelait cela "gilet"
De flanelle pour l'hiver...
En popeline ou percale pour l'été...
Et on portait un col Anglais (plus sport) et des poignets 1 bouton pour faire du vélo ...
Autre époque ....
Autres mœurs ...
J'ai eu la chance d’être "à cheval" sur trois générations ....
Du haut de mes 54 ans j'ai connu tout cela ....
Autre article pratiquement disparu de nos jours.
Le pyjama
En fait, la veste était très inspirée de la veste "Tailleur"
Avec des manches coudées en deux parties
J'ai dans la tête de l'adapter à la chemise ...
Difficile mais pas improbable, je l'ai déjà fait ...
Merci à Paul de m'avoir envoyé la construction de la manche
Maintenant le col ....
Le col n'est autre qu'un col rabattu
Plus ou moins ouvert ...
Le col arrondis pouvait supporter un galon, un pipé ( ce que nos très chers amis Anglo saxons nomment un piping)
Le pipé, le galon, le piping, peut importe l’appellation n'est autre que de la ficelle recouverte de popeline de couleur.
Pour cela , il faut couper des biais dans de la popeline unie
Opération pas facile car il faut savoir replier le tissu pour obtenir les biais dans un minimum de métrage ...
Bon!
Passons une fois de plus ....
Maintenant, le col ....
Et là , un doux sourire m'envahit ....
Quand je lis sur un certain forum que le col d'un pseudo philosophe est appelé le col "Requin" ....
Je me marre ....
J'ai le droit ...
Non?
Ce n’est, ni plus, ni moins qu'un col Pyjama baptisé le col "Ritz" adapté à une chemise ...
Et tout le monde de s'extasier ....
En criant "au génie"
Passons .....
Passons ....
Papa, on en a souvent parlé, avant que tu t'en ailles au Paradis des chemisiers ....
Il y a .......................
Trop longtemps ....................
Trop tôt....
Beaucoup trop tôt !
Pourquoi?
J'aimerai que tu collabores à ces écrits ...
J'ai mes larmes qui me montent ....
Tu ne peux plus le faire ..
.Aussi, j'essaye de retranscrire tes pensées qui sont les miennes ...
Je n'ai aucune "honte" ni "scrupule"
Nous étions un binôme, des jumeaux ....
Il me manque aujourd'hui, et il me manquera toujours 50% de moi même ....
Papa ........................
Ah ....
Les ouvertures d'échancrure...
Vaste sujet
La théorie veut qu'un cou soit rond et qu'on le traite comme un cercle parfait .
On divise par 3.14116 pour obtenir le diamètre puis par 2 pour obtenir le rayon
Je ne pense pas comme cela aujourd'hui
Mais c'est ma théorie à moi ....
La base de ces calculs est théoriquement bonne pour les chemises des années 50.
Mais aujourd’hui, on ne pratique plus comme cela ...
Enfin, moi, je ne fais plus comme ça ...
Mais je sais que certains le font encore ...
Là aussi, le calcul n'est pas faux ...
Seulement un peu éronné pour les chemises d'aujourd'hui ....
Mais certains pratiquent encore ....
Bien théorique encore tout cela...
Je préfère mesurer le tour d'emmanchure et calculer la profondeur en fonction.
Mais à l'époque on faisait comme cela, j'ai appris comme cela.
Mais je fais autrement aujourd'hui.
D'une simplicité enfantine...
Creuser l'échancrure pour avoir un col plus profond ...
Reste le réglage pour le montage ...
ça ressemble étrangement à une manche tailleur
N'est ce pas?
Même principe de calcul que pour une veste de pyjama.
Ce qu'on appelle un plastron décadré.
réservé aux fortes poitrines.
Le devant de la chemise et le plastron forment une sorte de pince destinée à emboiter le bombé des pectoraux .
Certaines chemises étaient ouvertes dans le dos et s'enfilaient comme une blouse de chirurgien.
Souvent les plastrons empesés.
Heureusement, qu'à, une certaine époque, il y avait du personnel de maison.
Je vois mal cela aujourd'hui
Mais un jour peut être les génies de la mode, vont nous mettre ça au gout du jour...
Comme pour les faux cols
Et tout le monde dira qu'elle trouvaille ...
Ici nous ne sommes plus dans la partie "coupe"
C'est presque la fin du cahier.
Et l'on s'oriente vers le patronage
L'épaule basse, la hantise du patronnier...
En jargon de métier on dit:
" des épaules comme une guérite"
Cela veut tout dire ...
Le caleçon court par opposition au caleçon long
Que voici
Ne pas confondre avec les pantalons de pyjamas
Le caleçon long étant destiné à être porté sous un pantalon, il était plus près du corps ....
Plus moulant en quelque sorte ...
La chemise combinaison est l’ancêtre de la chemise à queue de morue dont j'ai déjà parlé sur ce blog.
Chemise et caleçon ne sont qu'une seule et même pièce.
Pour le coté "pratique" il y avait un boutonnage sur la couture d'entre jambe pour pouvoir soulever la chemise en cas de nécessité ...
Les derniers calculs ...
C'est terminé...
Bien sur j'aurai pu regrouper les chapitres, mais j'ai préféré ce cahier tel qu'il a été écrit par mon père ...
Au fil des années et des informations qui lui étaient données
Comme vous avez pu le constater, j'ai eu beaucoup d'émotion à écrire cet article
Tout ce qui concerne mon père, mon papa me trouble énormément.
Entre ma grand-mère, mon père et moi, c'est plus d'un siècle et demi dans le métier de la chemise.
Je sais qu'il n'y aura plus de descendance filiale...
C'est comme ça.
Par contre il y a une personne a qui je donne volontiers toute cette expérience.
C'est Mary
A qui je donne des "cours" depuis plus d'un an et qui a toujours la même envie et la même passion.
Tous mes espoirs de continuité reposent sur elle ...
Quand je pense que les chemisiers ne sont plus reconnus à la chambre des métiers ....
Nous n'existons plus...
Ça me fait bondir!
On m'a proposé d’être "patrimoine vivant" ou "Maitre d'art"
Titres bien pompeux que ceux là!
Je ne sais pas comment faire, mais s'il faut passer par là pour se faire reconnaitre et entendre, je le ferai!
Si certains lecteurs ont des idée, je suis preneur !
Une dernière chose.
Mon père aurait eu 80 ans hier.
Mais j'étais trop ému pour rédiger cet article ...
Je peux avoir une "grande gueule " sur les foras, mais avoir un cœur d’artichaut ...
Sauf pour les blaireaux qui se la pète grave comme diraient les mômes, sans rien savoir et en divulguant le pessimisme du à leur triste carrière ...
Avec eux, je serai toujours sans pitié.
T'as capté "Gigi" ?
D'autre part, mon ami Fernand nous a quitté l'année dernière le même jour.
Heureusement Pauline est toujours là ...
Pour conclure un tableau de mon père, dont le cadre et le verre ont été cassés par la folie aveugle d'une enfant trop gâtée qui ne respecte ni rien , ni personne ....
T'inquiète papa j'ai fais un sous verre!
Merci à tous de m'avoir lu
Une dernière chose
Ces photos n'ont aucune protection.
Je vois de ci de là mes photos sur d'autres blogs
Certains m'ont demandé la permission qui leur a été accepté sans problèmes, d'autres se permettent de prendre sans prévenir...
Je n'aime pas!
Merci de m'informer pour le futur .
